Talking Wine with Jérôme Moitry, CEO de Château Climens

Talking Wine with Jérôme Moitry, CEO de Château Climens

Dans le cadre de notre série d'entretiens « Talking Wine with ... », nous nous entretenons avec d'éminents experts de la scène internationale du vin et de la gastronomie, ainsi qu'avec de simples amateurs de vin, au sujet de leur passion vinophile.

De la tête d'une société de gestion d'actifs à la direction d'un prestigieux château bordelais : Le CV de Jérôme Moitry est plus qu'atypique. Cet ingénieur (MSc Ecole Centrale Paris) et économiste (Instead MBA) a créé avec son frère Jean-Hubert Moitry la société de gestion d'actifs Patrimonia Capital, basée à Paris. Depuis juin 2022, il consacre toutefois la moitié de son temps au vin en tant que PDG de Château Climens. C'est à cette époque que sa famille a acheté le prestigieux domaine viticole de Sauternes-Barsac. Jérôme Moitry nous parle de son changement de carrière, de ses nouveaux défis et de son amour du vin.

Wine passport Jérôme Moitry

Producteur préféré: en Bordeaux, Brane Cantenac (Margaux) et Château Pontet Canet (Pauillac), hors Bordeaux, Domaine de Terrebrune (Bandol)

Région viticole préférée : outre Bordeaux, Chateauneuf-du-Pape

Musique préférée pour boire du vin: “You must believe in Spring” de Bill Evans sur un Climens 1er cru 2005

Les coups de cœur de Best of Wines: Château Pontet Canet 2020

Wine passport Jérôme Moitry

Jérôme, vous n'êtes pas issu du secteur viticole. Comment la famille Moitry en est-elle venue à acheter l'un des plus prestigieux domaines viticoles de Bordeaux ?

Nous ne sommes certes pas issus du monde du vin mais le vin a toujours été une évidence dans nos vies. Nous venons de Nîmes, une ville du sud de la France. Notre maison était entourée de vignes, du vignoble des Costières. Mon père buvait du vin régulièrement et je l’accompagnais le week-end pour acheter son vin. C’est un Châteauneuf du Pape blanc, région voisine de chez nous, qui m’a procuré ma première grande expérience de dégustation. Cela m'a convaincu d'approfondir la découverte du monde du vin.

Tandis que je menais une carrière internationale dans le conseil en stratégie et je découvrais la diversité des vins du monde, mon frère développait son propre groupe immobilier et approfondissait son appréciation des vins de Bordeaux. Il possède une maison sur le bassin d'Arcachon et souhaitait avoir un domaine viticole dans la région. Je l'ai aidé à étudier diverses opportunités et lorsque nous avons découvert Climens, il était évident que nous avions trouvé le domaine familial.

Était-il clair dès le départ que vous alliez superviser Château Climens ?

Lorsque nous avons démarré le processus d’acquisition, je n'envisageais pas de prendre en charge la gestion du domaine, mais lorsque nous avons découvert Climens, cela est très vite devenu clair. Je suis un fervent défenseur des terroirs, convaincu qu’ils sont incontournables si l’on veut faire de grands vins. La découverte du terroir de Climens et de la fraicheur qu’il confère à ses vins m’a rapidement convaincu que nous avons un superbe potentiel pour faire de grands vins blancs, qu’ils soient liquoreux, comme notre 1er cru classé, ou secs, comme Asphodèle depuis 2018, puis Lilium et Petite Lily depuis notre arrivée.

Comment vous êtes-vous préparé à votre travail ?

Je n’ai pas fait d’études viticoles mais j’ai fait des études scientifiques et d’ingénieur. Je suis passionné par le vin depuis plus de trente-cinq ans, j’ai beaucoup dégusté, fais partie d’un club de dégustation, et découvert de nombreux vignobles et vignerons à l’occasion de visites. Féru de livres, j’ai aussi beaucoup appris par mes lectures. Curieux par nature, j’ai découvert aussi les enjeux du bio, de la biodynamie, à l’époque où ces pratiques étaient peu connues et plutôt mal comprises.
J’ai donc pu développer ma propre vision du vin et j’ai pu aussi, par ma pratique professionnelle, développer des compétences en marketing et gestion, ainsi qu’une capacité de travail avec les experts techniques, ce qui me permet aujourd’hui d’animer la formidable équipe de Climens.

Vous souvenez-vous encore de vos premiers jours à Château Climens ?

Oui, parfaitement. C’est le premier jour de ma prise de fonction que nous avons acquis les premiers Wineglobes, contenants en verre, qui nous ont permis de faire une grande avancée et de développer notre grand vin blanc sec, Lilium. Nous rendions visite à un fournisseur technique pour échanger sur sa solution de protection du vignoble contre le gel ; c’était ma première priorité en prenant mon job, car il fallait absolument se préparer à affronter l’hiver et éviter les déboires des années précédentes (3 millésimes sans production à cause du gel). Nous en avons profité pour voir les Wineglobes de ce distributeur. Et après quelques essais, cela s’est révélé être une découverte majeure pour l’élevage de notre grand vin blanc sec.

Dans quelle mesure votre consommation de Sémillon a-t-elle augmenté ces dernières années ?

De manière drastique, car je buvais peu, sinon pas, de Sémillon auparavant. J’ai découvert un cépage très intéressant, qui peut être exceptionnel mais qui nécessite des conditions particulières pour s'exprimer pleinement. A Bordeaux, il est souvent assemblé avec du Sauvignon, perdant ainsi son expression aromatique authentique et riche derrière celle plus tranchante du Sauvignon. Grâce à notre terroir exceptionnel, avec la présence de la dalle calcaire du plateau du Haut Barsac dans le sol, nous pouvons exprimer pleinement le Sémillon.

Votre vision du vin a-t-elle changé depuis que vous travaillez à Château Climens ?

Je ne peux pas dire que mon point de vue ait changé, mais il est clair que je peux mieux comprendre les logiques qui se cachent derrière certains de mes sentiments d’alors sur les vins. Par exemple, en ce qui concerne les vins blancs secs, j’ai toujours apprécié les vins qui présentent un bel équilibre entre fraîcheur (verticalité) et richesse (amplitude), et j’ai toujours eu un problème avec l’excès d’acidité dans ces vins. Et pourtant il est si fréquent que la fraicheur des vins relève de leur acidité. Je ne vois pas clairement comment résoudre ce dilemme. Maintenant, je comprends mieux le rôle que peut avoir le terroir pour exprimer la fraicheur d’un vin en l’absence d’acidité.

Château Climens est principalement connu pour ses vins doux, mais vous produisez également d'excellents vins secs. Comment avez-vous décidé que Château Climens devait produire davantage de vins secs ?

Produire des vins blancs secs aujourd’hui est une évidence pour le sauternais. C’est à la fois une réponse aux besoins des clients, qui demandent moins de liquoreux et plus de vins blancs secs, c’est le respect et la mise en valeur du terroir du plateau du Haut-Barsac qui est extrêmement adapté à la production des vins blancs secs de grande qualité et c’est un retour vers l’histoire car les premiers vins produits dans la région étaient des vins blancs secs. L’évolution vers les vins liquoreux s’est faite grâce à la découverte du botrytis cinerea et à la demande forte de la clientèle au XVIIIe puis au XIXe siècle, notamment d’ailleurs grâce aux négociants hollandais qui destinaient ces vins aux marchés de l’Europe du Nord et à la Russie. Cela rejoint ma conviction sur le rôle du vigneron. Nous sommes des « passeurs », des intermédiaires qui créent la connexion entre les consommateurs et le terroir. Nous devons trouver les meilleures expressions de nos terroirs afin de séduire les amateurs de vins, ces clients qui nous font vivre et donnent du sens à notre mission.

Qu'est-ce qui, selon vous, rend vos vins secs si particuliers ?

Au-delà d’être de grands vins, produits sur un terroir d’exception, nos vins blancs secs ont cette particularité d’offrir une expression pure et élégante, fraiche et droite, on dit souvent minérale, d’un cépage à la palette aromatique riche et ample. Comme en miroir, il est très intéressant de relever que cet équilibre entre fraicheur et ampleur aromatique est ce qui caractérise le mieux notre grand vin liquoreux.

L’autre particularité de ces vins blancs secs 100% sémillon est la capacité de vieillissement permise par ce cépage. On peut d’ailleurs retrouver quelques années plus tard des notes aromatiques qui rappellent notre 1er cru liquoreux. En bref, ce sont des vins blancs secs vraiment originaux, que je n’ai pour ma part jamais eu l’occasion de trouver ailleurs.

Le style de Château Climens a-t-il évolué depuis que vous travaillez au domaine ?

Absolument pas sur le 1er cru liquoreux. Le style de Climens est exceptionnel. Je n’y toucherai pas car il est inscrit dans l’histoire. Quand vous voyez certains grands dégustateurs reconnaitre notre 1er cru par son toucher de bouche, élégant et crayeux, cela impose le respect.
En revanche, l’histoire se réécrit sur les vins blancs secs et nous avons choisi une voie qui respecte le terroir, similaire à celle poursuivie sur notre 1er cru liquoreux. On peut l’exprimer comme « une quête de pureté et d’élégance ».

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail à Château Climens ?

Tout d'abord en premier lieu, j'apprécie beaucoup de travailler avec une équipe formidable, dédiée à Climens, qui se défonce pour produire les meilleurs vins et ravir nos clients, grands amateurs sophistiqués. Deuxièmement, j'aime les nombreux défis auxquels nous sommes confrontés pour écrire une nouvelle page de l'histoire de Climens avec nos nouveaux vins blancs secs. Enfin, nous faisons face à de nombreux défis, avons été parfois très durement touchés par la nature et le changement climatique, mais travailler sur de nouvelles solutions et moyens de s'adapter est une aventure très exigeante et passionnante.

Avez-vous un accord mets-vins favori avec vos vins ?

Je dois dire que j’ai totalement changé de point de vue depuis deux ans en ce qui concerne notre grand vin liquoreux. J’étais influencé par les avis communément admis (foie gras et dessert) et j’ai découvert que ce vin peut accompagner presque tous les mets… des plats très simples comme un poulet rôti, des cuisines du monde comme la cuisine asiatique, en apéritif, tout seul... Comme je dis souvent, c’est un cocktail à lui tout seul, car il est composé d’alcool, de sucre et de fruits. Personnellement, il m’arrive de l’apprécier tout simplement en guise de dessert avec un bon cigare…

Nos vins blancs secs s’accommodent aussi très bien avec de nombreux mets. On peut aisément apprécier Petite Lily bien frais à l’apéritif ou sur une planche de charcuterie, Asphodèle au bout de deux à trois ans sur une cuisine asiatique épicée et Lilium sur un beau poisson.

N’oublions pas aussi que nous avons tous un palais différent et n’avons pas la même appréciation d’un même vin, et encore moins d’un accord avec un met. Le plus important pour moi est de sortir des schémas préconçus et de laisser libre court aux dégustations sur tous types de mets. On est toujours surpris de voir que les accords heureux sont très nombreux !

Y a-t-il encore un vin qui figure sur votre liste et que vous aimeriez boire un jour ?

Un grand vin blanc sec de Climens de vingt à trente ans d’âge. J’espère arriver à cette expérience !

Enfin, pouvez-vous donner à nos lecteurs quelques recommandations de restaurants et de bars à vins pour leur visite à Barsac ?

Le sauternais est riche en matière d’œnotourisme et de bons restaurants. Si vous cherchez l’expérience gastronomique, il y a bien entendu le restaurant Lalique, 2* au guide Michelin, ainsi que le restaurant Darroze, 1* à Langon. Une option moins couteuse, dans la registre bistronomique, est celle du Cercle Guiraud à Sauternes. Pour une formule plus simple, à base de tapas, mais avec de beaux vins conseillés par un vrai amoureux des vins, allez à la Barrique à Langon. Et si vous êtes en petit groupe et cherchez une belle expérience au Château, vous êtes bienvenus à Climens (notre offre est décrite sur www.chateau-climens.com).

 

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